Matoub lounes : un frère, un rebelle, un ardent porte-parole
Le proverbe kabyle que j’ai choisi pour le mois de juin, " Tsruhun wudmawen tghimin - d ysmawen" "Les visages s'en vont, les noms restent ", s’adapte très bien pour Matoub. Plus qu’un nom, une œuvre, un combat, demeurent présent.
Nombreuses sont les personnes à regretter Matoub, à écouter ses chansons avec nostalgie. Plusieurs personnes lui rendent hommage par des écrits. Il est une chanteuse
qui « lui écrit » régulièrement des lettres, c’est Malika Domrane. Si nous les regrouperions, nous pourrions les appeler : Les mots du cœur et de l’âme pour Matoub. En effet Malika Domrane connaît Lounes depuis l’enfance, et à chaque anniversaire de sa mort, elle lui écrit de longues lettres, lui témoignant son amitié et admiration pour ses convictions, une façon d'entretenir sa mémoire, le faisant en quelque sorte revivre par le biais de ses lettres… mais sûrement aussi pour tenter d’apaiser un grand chagrin, un grand vide.
Le 24 janvier 1956 naît Matoub lounès, à Taourirt Moussa, en Kabylie.
Ce nom et ce prénom évoquent pour les kabyles le respect et l'émotion.
Matoub Lounès était un chanteur et militant très engagé à défendre la cause amazigh (berbère).
Il criait haut et fort son désaccord avec le gouvernement algérien. Il dénonçait la dictature et l'islamisme en Algérie. Opposé au terrorisme islamiste, il condamnait l'assassinat d'intellectuels.
Matoub Lounès était un ardent partisan de la démocratie et de la laïcité, il se faisait le porte-parole des opprimés, il se sentait le patriote de toutes les patries opprimées.
Malgré une succession d'épreuves, il ne dévia jamais de son combat pour l'identité berbère.
Il fut enlevé le 25 septembre 1994 par un groupe armé, puis libéré à la suite d'une forte mobilisation de l'opinion kabyle.
Cette même année, il a publié un ouvrage autobiographique " Le Rebelle " et reçoit le Prix de la mémoire, des mains de Danielle Mitterrand.
En 1996, il participe à la marche des rameaux en Italie pour l'abolition de la peine de mort.
Le 25 juin 1998, restera toujours dans la mémoire des kabyles atteints au plus profond de leur âme par l'assassinat de Matoub Lounès.
Il a été assassiné sur la route menant de Tizi Ouzou à Béni Doula en kabylie.
La lumière sur ce meurtre n'a jamais réussi à être faite.
Les funérailles du chanteur drainèrent des centaines de milliers de personnes et la région connut plusieurs semaines d'émeutes.
Un symbole, un frère était mort.
La fondation Matoub lounès a été créée par ses proches afin de perpétuer sa mémoire, et promouvoir les valeurs défendues par Lounès, et tenter de faire la lumière sur son assassinat.
" Certes, si le corps se décompose,
la pensée, elle, ne meurt pas "
Matoub Lounès extrait de Kenza
L'amour, l'exil, l'histoire, les droits de l'homme, la revendication berbère, l'intégrisme, la paix, font partie des thèmes de ses œuvres.
Quand on discute avec un kabyle, il y a toujours un moment où le nom de Lounes Matoub est prononcé et aussitôt après, il s'en suit une forte émotion et des éloges.
Il est présent dans le cœur et l'esprit, mais il manque à tous, pour certains la douleur est encore vive !
Il est visiblement des plaies qui ne sont pas guéries par le temps qui passe….
Mais il reste le souvenir, lui, parle et chante encore dans les esprits, rien ne pourra l'empêcher de continuer à vivre à l'intérieur des personnes.
Les kabyles ne l'oublieront jamais, pour eux il est éternel !
Le nom de Matoub Lounès a été attribué à des rues, esplanades, salles de spectacles. En juin 2015, c'est la ville de St Etienne, en collaboration avec les associations Nuymydia et E.C.L. A , qui inaugure l'Allée Matoub Lounès. Une autre façon de se souvenir de lui et d'honorer sa mémoire.
Ci-dessous, un aperçu des textes de Matoub qui se voulait percutant. Ces chansons évoquaient tout ce que vous pouvait ressentir les kabyles dans leur vie quotidienne, avec comme toile de fond, la défense de l’identité berbère. La chanson Kenza a été écrite pour la fille de l’écrivain, poète et journaliste Tahar Djaout, à la suite de l’assassinat de son père.
KENZA
Icceqeq ifsex igenni
Lehwa tessared azêkka
yal targa tremmeg a tneggi
A tsseggixent tghuza
Ddew tmedlin teffegh d teghri
Tesrârrêh abbuh a tarwa
A kenza a yelli
Sêbr as i lmêhna
D isflan neghli
F Ldzayer uzekka
A Kenza a yelli
Ur tsru yara
X as terka ldjessa tefsi
tikti ur tetsmetstat ara
X as fellagh qeshêt tizi
I facal ad d nadjdjew ddwa
X as negdên achâl d itri
Igenni ur inegger ara
A Kenza a yelli
Ur tsru yara
Sebba f neghli
D Ldzayer uzekka
A Kenza a yelli
Ur tsru yara
Fran ts fellagh zik enni
Uqbel a d yêhdêr wass a
Isêggaden n tmusni
F tumûrt ghêdlen d rrehba
Nnghan Rachid Tigziri,
Smail ur thezgilen ara
Nnghan Lyabes d Flisi
Busebsi d wiyâd mêrra
A Kenza a yelli
Sêbr as i lmêhna
D isflan neghli
F Ldzayer uzekka
A Kenza a yelli
Ur tsru yara
Xêrsum d yiwen ad d yegûri
Ad agh i d ismekti azekka
F ldjerh' iqcerâ ad d yali
Ad d nban ger tmura
Tarwa nnegh ad d tennerni
X as akken g ûrebbi n tlufa
A Kenza a yelli
Ur tsru yara
D isflan neghli
F Ldzayer uzekka
A Kenza a yelli
Ur tsru yara.
LES MONTAGNES SONT MA VIE
Du tribut de mon sang j'ai irrigué les monts
mon empreinte s'imprime à jamais,
quand ils ont en juré l'anéantissement ;
Qui s'impatiente de me voir mort,
et qui calomnie mon nom,
à chaque col devra m'affronter
J'ai laissé mon bien à l'abandon,
je l'ai trouvé gisant dans l'immondice,
J'ai porté le regard sur mon honneur,
j'ai vu des bourreaux.
Bien que la force ait fui mes membres,
Ma voix demeure, qui retentira,
Ils l'entendront !
L'on dit : La montagne s'est ébranlé !
Et tu n'y étais pas !
Chacun s'en va répétant,
c'est aujourd'hui jour de l'an.
Notre terre étincelle comme un phare.
A Tizi le peuple afflue.
A Bougie éclatent les salves de la victoire,
L'on a brisé le joug de nos souffrances :
Ma vie ! ma vie !
Les montagnes sont ma vie !
Ah ! Etre présent au milieu de vous,
ne fût- ce que par la parole combattre !
Les calvaires dont je suis frappé
sont devenus mon unique empire,
Mais puisque les Kabyles s'unissent,
ils dissiperont nos funestes tares,
A quoi bon les vains verbiages :
la berbérité fonde leur histoire ;
Elle est la racine de leur vie,
Il est temps que se purifie notre condition.
Ma vie ! ma vie !
A bon droit mon cœur s'afflige,
puisque je ne suis pas parmi vous.
Son fardeau lui pèse, déborde,
excède ses forces, il n'en peut plus !
Il veut que l'entendent les malfaisants,
ceux-là qui mangeront du foin
Quand notre blé purgé de l'ivraie.
Que celui qui dit l'esseulé humilité,
Vienne affermir son propos,
S'il nous terrasse, c'est bien fait !
Les mots infâmes triomphent de la malédiction,
selon l'adage de nos ancêtres.
Pourquoi irai-je me tourmenter,
Pour quelques brimborions ?
Les forces me reviendront,
Portez mon salut aux enfants,
Qu'ils chantent la terre de Berbérité :
L'héritage de Mouloud Mammeri,
Comme la foudre dans le ciel éclate :
En sentez-vous les gouttes tomber ?
Les montagnes sont ma vie !
Bibliographie :
* Lounès Matoub (en collaboration avec Véronique Taveau), Rebelle, Editions Stock, 1995 mon-frere
* Malika Matoub, Matoub Lounès, mon frère, Editions Albin Michel, 2000
* Nadia Matoub, Pour l'amour d'un rebelle, Editions Robert Laffont, 2000
* Lounès Matoub (présentation et traduction de Yalla Seddiki), Mon nom est combat, Editions La Découverte, 2003
* Abderrahmane Lounès, Le barde flingué, Editions Publisud, 2006
* Abderrahmane Lounès, Le testament, Editions Publisud, 2006
Créations vidéos, version sous-titré en kabyle et français.
« Tighri n tadjalt » « la révolte de la veuve » Chanson de Matoub Lounès.
Création vidéo : Kollyns, d’après Yalla Seddiki, Matoub Lounès, mon nom est combat, et Hymne à Boudiaf.
Les créations de Kollyns sont très belles, artistiques, et traduites ce qui donne une meilleure approche de l'oeuvre de Lounès Matoub.
Hymne à Boudiaf
Isabelle.
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